Tonton Macoute

vendredi 6 septembre 2024, par Franco

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« J’aime bien noyer les reporters qui prennent trop de photos … Avec mon couteau de commando, si il y a des dissidents, je torture ...”. Ces quelques mots, assez violents, vous en conviendrez sont issus de « Tonton Macoute » une des chansons les plus médiatisées du groupe et surtout la face A du Maxi 45t sorti chez Phonogram en 1984. Un peu d’histoire…

Les Tontons Macoutes étaient la milice personnelle des Duvalier, “Papa Doc” puis “Bébé Doc”, qui étaient les dictateurs sanguinaires d’Haïti. Ils commirent des meurtres et des horreurs durant plus de 40 ans avant d’être pourchassés dans tout le pays suite à la chute des Duvaliers (Bébé Doc est débarqué en 1986 et se réfugie … en France). Bref les Tontons Macoutes étaient juste une belle bande de salopards dont la devise était « Couper les têtes et bruler les maisons ». À notre époque aseptisée, on pourrait donc s’étonner d’entendre un groupe de rock fanfaronner à leur sujet, si ce n’était du second degré. La chanson date de 1978. Elle fut enregistrée en 1979 lors de la toute première session de studio du groupe. À l’époque les Fils de Joie sont encore un groupe punk, qui évolue certes mais leurs textes sont encore imprégnés de cette culture faite de provocation, de second degré et d’humour noir. L’occasion d’écrire un texte sur ces Tontons Macoutes, à la fois cruels et furieusement exotiques, était trop belle. Rappelons qu’à l’époque le cynisme n’a pas de limite. Les Duvaliers sont ouvertement anticommunistes et soutenus par les gouvernements américain et … français. En bons dictateurs, ils possèdent des richesses en dehors d’Haiti dont un château en France ou Bébé Doc viendra se réfugier une fois déchu.

A la base c’était un morceau “twist-ska”, comme le définissent les Fils de Joie, avec des relents de reggae. Le groupe joua le titre sur scène jusqu’à l’enregistrement de ce premier Maxi 45T dans une major. Le producteur artistique choisi par la maison de disques fut Jello (l’ancien guitariste de Starshooter). Il venait de rentrer d’un voyage en Afrique et était encore influencé par ce qu’il avait entendu là-bas. Le morceau Ska-Twist est devenu un morceau plus dansant façon 80s, imprégné de musique des îles, bien dans l’esprit de ce que pouvait proposer le Clash en Angleterre à l’époque de “Rock the Casbah” (1982). Par contre ni Jello, ni la maison de disque ne leur demandèrent de changer un seul mot du texte ! La provocation restait un mode d’expression encore bien compris et ancrée dans la culture française à l’époque d’Hara kiri, du professeur Choron ou de Coluche. Le morceau fût diffusé en radio sans que personne n’y trouve à redire. Les fans adorèrent et dansèrent là-dessus, scandant le refrain à tue-tête “avec mon couteau c’est faaacile …”. En 2021, au cours d’une interview, Olivier m’avoua qu’il avait parfois du mal à assumer le texte 40 ans plus tard. Pourtant, le public réclame systématiquement le morceau. Ce furent les fans et le label qui demandèrent d’inclure la chanson sur l’album « Nous ne dansons plus la nuit » paru en 2023 et Tonton Macoute fait toujours partie des chansons obligatoires des Fils de Joie sur scène. Il faut reconnaître que c’est un bon morceau. Olivier a quand même pris le soin d’ajouter un pont dans la version live depuis 2023. Le Tonton Macoute a vieilli et le monde a changé (pas tant que ça si on regarde Haïti de nos jours …) : “ De Port-au-Prince au Cap Haïtien, personne n’a oublié les miliciens. Je n’ai plus d’amis, ni à Paris ni à Miami. Aujourd’hui, je redoute les morts vivants, les zombies, les revenants, les poupées vaudou, les sorcières. Oui, mon âme ira griller en enfer. Je le sais bien, il n’y a rien à faire. Pourtant, la vie avant, c’était …” et ça repart : “Avec mon couteau de commando …” etc. Ce pont est un peu une explication de texte, la clef pour les générations futures. Mais pour le public des Fils, il n’y a vraiment pas besoin d’explication de texte.