Adieu Paris
vendredi 6 septembre 2024, par
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« Adieu Paris » est peut-être une des chansons les plus représentatives du rock français de son époque. C’est surtout un titre qui a une histoire bien particulière. Elle fut écrite en 1979 et il convient de rappeler le contexte et citant Olivier de Joie : « La fin des années 70 voit le déclin des idéologies de partage à l’échelle mondiale. Le communisme s’est discrédité, les hippies sont rentrés dans le rang, tout comme les soixante-huitards. L’idéologie libérale triomphe avec les élections de Thatcher en Angleterre (1979) ou Reagan aux États-Unis (1980) et se propage à travers le monde, portée par la puissance hégémonique des américains. Leur industrie, tout comme leur CIA ne font pas dans la nuance (rappelons le soutien à de nombreuses dictatures au prétexte de l’anticommunisme comme ce fut le cas pour Pinochet au Chili). Le climat post guerre froide est morose malgré quelques sursauts d’apparence humanistes. En France, les socialistes gagnent les élections de 1981. De nouvelles guerres pointent à l’horizon (Irak-Iran, Liban, …), le Sida de répand, et le chômage de masse devient une réalité. L’individualisme est devenu la valeur montante, les golden boys triomphent à la bourse et la jeunesse n’a plus vraiment d’idéal… Et bien, quand ça va mal, et surtout si on essaye de vous faire croire que tout va bien, tôt ou tard la culture vous ramène à la réalité … ». De l’autre côté de la Manche apparaît le mouvement Punk dont le principal message, celui des Sex Pistols, est « No Future ». Né aux environs de 1976, le mouvement gagne l’hexagone et la planète. Partout une nouvelle génération de musiciens émerge. Un vent de rébellion emporte la musique, à la fois vers un retour aux sources du rock et avec une créativité et une originalité probablement inégalée depuis bien longtemps.
En 1978, à Toulouse, trois lycéens Olivier, Alain et Chris forment Les Fils de Joie. Olivier de Joie, qui a acheté une guitare trois ans plus tôt et appris sur le tas, écrit ses premiers morceaux, encouragé par le credo de la nouvelle génération :« la technique est secondaire, ce qui compte c’est la créativité et l’énergie ». Il est accro et plutôt doué. Parmi les morceaux qu’il écrit en 1979, il en est un qu’il nomme tout d’abord « Paris Paris » puis, « Adieu Paris », un titre qui claque. Il est satisfait de la grille d’accords assez originale et de la mélodie du morceau. Il veut écrire sur le mal-être (le sien et celui de sa génération) mais n’est pas encore tout à fait sûr du texte.
Les Fils de Joie donnent déjà leurs premiers concerts, principalement sur les campus toulousains. Lors d’un set à l’école Sup-aéro, en 1979, ils voient débarquer un élève habillé de rouge, venu tout droit du réfectoire voisin de la salle de concert, avec un yaourt à la main. C’est Pascal Jouxtel ! Pascal découvre les Fils ce soir-là. Olivier et lui sympathisent instantanément après le concert. Ensemble, ils vont écrire de nombreux textes pour le groupe dont celui d’Adieu Paris. Le thème du héros isolé, en décalage avec son environnement est récurrent dans les textes des Fils de Joie à cette époque. Adieu Paris ajoute une touche dépressive. Le texte ne prononce pas le mot mais le thème du « suicide » est lui aussi courant à l’époque (Un groupe américain en a même pris le nom). Ici, le héros est à Paris et la chanson démarre comme une carte postale : « La Tour Eiffel, la Tour Montparnasse … ». Il veut en finir. Le simple fait d’ajouter « la corde ou la gaz » nous fait comprendre que le héros pense d’abord à se jeter d’une tour. Adieu Paris est bien le « No future » à la Française, d’une forme poétique et subtile. Ceci explique sans doute l’engouement des radios libres naissantes à l’époque pour le titre. « Je n’apportais rien à l’Humanité » chantent Les Fils de Joie. Quoi que ? François Gorin a récemment écrit : « Adieu Paris, l’hymne souterrain d’une new wave française encore mal définie » (Télérama 05/2023). Auto-produit par le groupe et enregistré à l’automne 1981 au studio polygone à Toulouse, le 45T fut pressé à 2000 exemplaires avec « Le seul survivant » en face B. Il fut distribué début 1982 avec, sur la pochette en noir et blanc, le logo des Fils de Joie : un Requin prêt à mordre.
L’orchestration, elle aussi, reflète bien l’époque, tout d’abord à travers la recherche rythmique et instrumentale. Alain de Joie a proposé un rythme en 6/8 assez original qui donne au morceau une touche reggae soul. The Clash sont déjà passés par là. L’apport de la basse de Daniel de Joie (qui a rejoint le groupe en 1979 après avoir passé son bac), est indéniable. Le phrasé mélodique et rythmique original renforce le côté reggae mais apporte aussi une touche « Cold Wave » bien en ligne avec le texte. Olivier, comme à son habitude ajoute plusieurs guitares (rythmique ou des gimmicks). L’apport du saxo de Christophe Jouxtel, le grand frère de Pascal, est aussi une des clefs qui nous permet de nous replonger dans cette époque qui a vu le retour en force des cuivres, notamment avec le ska. Enfin Chris de Joie s’est mis aux claviers. Le son d’orgue Hammond rappelle évidemment « Watching the detectives » d’Elvis Costello ou « The Harder they Come » de Jimmy Cliff. Ce sont deux des influences des Fils qui ont réussi à écouter autre chose que les Ramones à l’arrivée de Daniel. Alain, Daniel et Olivier enregistrent en même temps, en live au studio, comme on le faisait à l’époque (batterie, basse et guitare). Ils ne s’en sortent pas trop mal même si Olivier a toujours dit qu’il rêverait de refaire la même chose avec un bien meilleur son. La chanson colle parfaitement à son époque. Alain Maneval tombe sous le charme à son tour et aidera les Fils de Joie à signer un contrat fin 1983 avec Phonogram, un gros label aujourd’hui intégré à Universal.
En 1985, sous la houlette de Frank Darcel (ex Marquis de Sade et producteur de » la Notte, la Notte » d’Etienne Daho) le groupe réenregistre une nouvelle version de « Adieu Paris » en même temps que « J’appelle par-delà les mers » mais Daniel et Alain ne sont plus là, la vision de Darcel trop éloignée de celle d’Olivier et le son synthétique lissé de la nouvelle version génère de la frustration et des dissensions au sein du groupe. Les Fils de Joie se séparent fin 1985 après une dernière tournée et avant même de sortir leur album prévu l’année suivante. Marc, le saxophoniste recruté en 1983 (lors d’une tournée en Bretagne) et Olivier continue l’aventure et enregistre de nombreux titres en binôme avant de clore le chapitre fin 1986 ou début 1987. Olivier a 27 ans mais il faut croire qu’il n’a pas eu envie de faire partie du « club des 27 ». Ironiquement, il s’installe à Paris où il fonde une famille. Ses trois enfants ne découvriront Adieu Paris et les fils de Joie que bien plus tard, une fois adolescents. Paul, l’ainé, qui a trouvé quelques exemplaires du premier 45T dans un placard n’hésitera pas à les revendre sur le net pour gagner un peu d’argent de poche. La légende dit que Pascal Obispo en a acheté un (croyant peut-être que c’était la version produite par son ami Frank Darcel). Songwriter passionné, Olivier continuera à écrire pour d’autres projets avant de faire renaître Les fils de Joie mais c’est une autre histoire.
La première version d’Adieu Paris est devenue un standard « post-punk » incontournable des années 80 (« post-voyou » comme l’a qualifié l’émission de radio québécoise L’AUT’ ROCK en 2022). La chanson est notamment présente sur le premier et principal volume de la compilation « Des Jeunes Gens Modernes ». Elle a été reprise par le groupe Diabologum. Il existe même une version unplugged enregistrée par l’accordéoniste Isabelle Janvier et Olivier de joie, lui-même, sous le nom d’Olivier Hébert, pour son projet « La Collective ». Le titre figure sur l’album « Nous ne dansons plus la nuit » paru avec les meilleurs titres des Fils de Joie entre 1982 et 1986. Cet album a été classé TTT par Télérama en 2023.